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8h37


8 :37, l’heure à laquelle je me réveille depuis ma naissance. À tous les matins de mon existence, mon horloge interne me fait le même coup. Comme si un vacarme me faisait sursauter, mais pourtant tout est toujours silencieux autour de moi.

Je m’appelle Laurent Garceau, j’ai 23 ans. Je suis le genre de gars que tu peux croiser chaque jour sans jamais vraiment le remarquer. J’aime me fondre dans la masse. Beau gosse, intelligent (selon ma mère), pathétique et sans envergure (selon mon ex). Elles ont toutes deux sûrement raison, mais je m’en fous, comme je me fous de tout en ce moment. Depuis quelques mois déjà, ma vie est devenue un peu n’importe quoi. Sans emploi, sans étude, je passe mes journées dans la déchéance de mon appartement. Une routine médiocre dans un décor médiocre. Habituellement, je détesterais vivre au crochet du système, mais comme je me fous de tout…

Ce matin, encore une saleté de fois, je me suis réveillé à 8 :37. Ça peut sembler parfaitement ordinaire pour certain, mais pour moi, à chaque fois c’est un vrai cauchemar. Je me réveille avec une peur démesurée sans raison et tout doucement la douleur s’installe. Un mal de tête si intense que mon crâne menace de se fissurer et ce, pendant une dizaine de secondes. C’est très court dix secondes, mais j’ai toujours l’impression que ça ne s’arrêtera jamais. Le pire c’est lorsque je suis déjà éveillé, des chaleurs, des étourdissements jusqu’à en restituer mon repas de la veille. Ça me déclenche même des crises d’épilepsie. Tous les spécialistes que j’ai rencontré ont eu le même discours “Monsieur Garceau, nous n’avons jamais connu un cas comme le vôtre” et sans rien ajouter, ils me laissent partir. Donc le verdict : épileptique à 8 :37. Comme quoi la médecine est une science peut-être plus précise que nous le croyons.

Par contre, aujourd’hui, c’était vraiment plus atroce qu’à l’habitude. Mon sentiment de peur était justifié pour une fois. Mes yeux se sont ouverts sur une scène qui donnerait la chair de poule à un tueur en série. Un homme en veston se tenait debout à côté de mon lit, une arme à la main. Un pistolet six coups comme dans les westerns spaghetti. Il posa le canon sur ma tempe, je ressentais le froid du métal, ma colonne vertébrale se transforma, instantanément en une tige de fer. Plus moyen de bouger, je n’arrivais même plus à respirer, j’étais figé par la peur. Il pressa la détente et tira un coup. Clic. L’homme s’évapora sous mes yeux. Je me suis brusquement assis dans mon lit, j’ai regardé mon réveil matin juste au moment où il changea d’heure, 8 :37. Ma tête voulait exploser, la douleur était fulgurante. Je me suis finalement évanoui. Assurément, c’était un rêve puisque jamais je ne m’étais réveillé avant 8 :37 sans avoir de crise d’épilepsie. C’était quand même la première fois que j’en perdais conscience. Peut-être que ce cauchemar est dû au sac de sel et vinaigre™ que j’ai empiffré devant la télé avant de me coucher. Dans tous les cas, ce soir mon estomac pourra crier famine comme bon lui semble, je me priverai quand même de ma collation.

Ah non! Ce n’est pas vrai! Le même homme, planté là devant moi comme une poutre, reproduisant exactement les mêmes mouvements qu’hier. Cette fois, il me regarde droit dans les yeux. Il a un air complètement indiffèrent, comme si pour lui, tout était dans la normalité des choses de se trouver là avec une arme pointée vers moi. Je me décide à le confronter. Je maintiens son regard comme si ma vie en dépendait. Qu’est-ce qui peut bien m’arriver de mal, ce n’est qu’un rêve après tout. Le voilà qui recommence, il presse la détente. Clic. Mes yeux ont sans doute cligné à ce moment-là. Il enchaîna avec un deuxième coup. Clic. Mais pourquoi ne disparait-il pas? Il est toujours là! Je sens un troisième coup venir. Mes yeux sont maintenant fermés tellement fort que je me demande si je pourrai les ouvrir une fois ce cauchemar terminé. Clic. Ça y est, je ne sens plus sa présence, ni son arme sur moi. J’ouvre les yeux sur mon réveil qui passe de 8 :36 à 8 :37. Rien ne se passe, aucune douleur. Je suis allongé là, sur mon lit avec mon haleine du matin et un semi croquant qui m’informe que je dois vider ma vessie. Là, je panique, je pleure! De grosses gouttes d’eau salée me titillent les lèvres. Une énorme vague d’émotion dichotomique s’installe en moi. Je me rends bien compte que ce n’est pas un rêve, tout est réel. Aucune transition d’états du sommeil au réveil. J’ai encore la tempe froide à cause du canon. Par contre, ce bonheur de me lever sans souffrance pour la première fois de ma vie et le sentiment d’être normal (ou presque) me donne de l’espoir. J’en oublie quasiment mon agresseur matinal. Je sais qu’une belle journée m’attend, alors je le chasse de mes pensées. J’ai le goût d’un bon café chaud, j’ai le goût de voir du monde, j’ai le goût de vivre cette journée comme si c’était la dernière, j’ai simplement le goût de vivre!

Je me suis bien occupé toute la journée. J’ai fait les courses, j’ai lavé la voiture, je suis même passé par la bibliothèque de mon quartier pour me prendre quelques bouquins sur les rêves, mais je ne les ai toujours pas ouverts. J’aimais bien cet état d’esprit dans lequel j’étais et je tenais à le préserver. Je pense à la fille qui m’a fait mon café ce matin au p’tit resto du coin. Elle est délicieuse, son sourire m’a fait fondre et je crois qu’elle l’a remarqué. J’essayerai d’approfondir cette relation demain si mon tortionnaire me le permet. Soudainement, cette pensée me fait angoisser donc, je décide d’ouvrir un de ces ouvrages concernant le somnambulisme. Rien avoir avec mon cas, alors j’ouvre celui sur les terreurs nocturnes. Encore là, peu de ressemblance avec ce que je vis. Je passe en revue toutes les lectures que j’ai pu prendre sur le sujet, mais aucune information ne me semblait pertinente. Deux heures du matin et je suis toujours ancré dans mon fauteuil à lire ces trucs qui ne me servent à rien. J’ai mal aux yeux, j’ai des courbatures, mais je n’ai aucune envie de regagner mon lit. Je dois… Rester… Je dois rester éveiller…

De la pluie? J’entends de la pluie! Je me suis endormie la face dans le dernier livre qui me restait sur les psychoses. La fenêtre ouverte me montre un ciel gris. Je ne me rappelle même pas l’avoir ouverte. Je me lève pour la fermer et je vois de l’autre côté de la rue, la fille du resto qui entre pour y commencer son service. Je souris. Encore une journée où je vivrai à fond. Je me retourne, il est là, en plein milieu de mon salon, cet homme qui perturbe mes matins. Je n’en peux plus. Une rage monte en moi. J’explose comme un volcan et je lui jette toute cette lave contenue depuis trois jours à la figure.

-NON MAIS T’ES QUOI AU JUSTE? TU VIENS CHEZ MOI ET ME POINTE AVEC TON ARME DATANT DE LA GUERRE FROIDE ET TU PENSES ME FAIRE PEUR!

Il lève son bras et la pointe sur moi.

-ALLEZ, VAS-Y, TIRE. TU N’AS MÊME PAS DE BALLE DANS TON BARILLET!

Il recommence sa roulette russe qui n’en finit plus et je continue à le provoquer.

-TU VOIS, ÇA NE SERT À RIEN, ALORS VA-T-EN…VA-T-EN, JE TE DIS!

Je frappe son arme. Moi qui croyais frapper dans le vide, je l’entendis rebondir sur le mur. L’homme disparut à nouveau. Je suis debout dans mon salon et je fixe l’arme sur le sol. Je m’approche, j’essaie de la prendre, mais elle disparait aussitôt à son tour. Me voilà soulagé, même fier, car je pense que cette fois je lui ai fait peur. Il ne reviendra plus, c ‘est terminé. Aucune douleur à l’horizon, je prends mon parapluie, mes baskets et je dévale l’escalier de mon appart pour me rendre au resto, le torse bombé et le sourire aux lèvres. Plus j’avance, plus mon cœur bat vite. Je pense déjà à comment je vais l’aborder, elle, avec son doux visage. Un simple bonjour avec mon plus beau sourire devrait faire bonne impression, ensuite je pourrais…Un crissement de pneu se fait entendre suivi du métal qui s’entrechoquent. Par réflexe, je regarde vers cette scène affreuse qui se déroule juste devant chez moi. Une camionnette fonce droit dans ma direction. Elle est hors de contrôle. J’essaie de m’enfuir, mais trop tard. Son pare-choc me fait plier les genoux. Je me fracasse violemment la tête sur le trottoir. Sa roue avant m’écrase lentement. Je sens ma cage thoracique se briser en milles miettes. Tout devient sombre, je n’entends plus. Je pense au sourire qu’aurait fait la fille du resto. Une ombre se penche sur moi. C’est l’homme au pistolet, mais je n’ai plus peur. Je comprends maintenant.

-Défibrillateur…On va le perdre! Éloignez-vous laissez-le respirer.

-Arrête, c’est terminé on ne peut plus rien pour lui. L’heure du décès… 8 :37.

Fin


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